Prisons de plastique

Prisons de plastique

En moins de trente ans, Almeria, région désertique, pauvre et recluse à l’extrémité de notre continent est devenue l’un des piliers de l’économie espagnole. Les 32’000 hectares de cultures sous plastique, le pompage des nappes phréatiques, un fort ensoleillement et l’usage acharné d’engrais et de pesticides permettent aux agriculteurs andalous de produire aujourd’hui plus de 3 millions de tonnes de fruits et légumes par année. Synchronisé au développement du réseau autoroutier espagnol, puis associé aux entreprises transnationales européennes de transport et de distribution, ce système permet de nourrir une grande partie de l’Europe entre septembre et mai.

 

Almeria est une porte d’entrée de l’Europe et permet aux narcotrafiquants d’associer leur juteux commerce avec celui du transport illégal de personnes (entre 1000 et 6000€ la traversée). Plus de 100’000 migrant-e-s en provenance du Maghreb, d’Afrique Subsaharienne mais aussi d’Europe de l’Est ou d’Amérique Latine, accourent dans la province avec en tête le mythe de l’eldorado occidental. Près de la moitié d’entre eux n’ont pas de permis de travail ou de résidence. Une proportion identique n’a pas d’emploi ou seulement quelques mois par année. Les personnes rémunérées sont en majeure partie des jornaleros(employés à la journée) dans le secteur de l’agriculture.

 

Les citoyens de la province d’Almeria, région conservatrice, semblent encore effrayés par l’invasion maure du VIIIe siècle. Plusieurs cas d’apartheid comme le refus d’accès à certains bars, la majoration prohibitive des loyers, et le passage à tabac occasionnel mettent en lumière un racisme encore très encré dans les consciences. Ces pratiques révèlent également une volonté politique de cantonner les migrant-e-s de couleur à l’écart des centres urbains. Ils logent entassés dans des petits garages, des entrepôts humides et borgnes, des ruines recouvertes de plastique ou tout simplement dans de vieilles cabanes faites de déchets de serres. Les conditions sont insalubres. Il n’y a pas de toilette, pas d’eau potable, pas de ramassage d’ordures et pas d’égout. Si les locaux sont alimentés par l’électricité, le propriétaire en profite volontiers pour les louer plusieurs dizaines, voire centaines d’euros. Eloignés des accès aux transports publics, des moyens de communication, ces hommes vivent un double isolement, isolés à l’intérieur de la société espagnole et isolés à des centaines de kilomètres de leur femme et de leurs enfants. Ces esclaves contemporains ne sont plus que l’ultime variable économique ajustable afin de comprimer encore un peu les coûts de productions de nos légumes hivernaux.

 

Prison de plastique est un  travail mu par la volonté d’agir localement, de me pencher sur le quotidien de mon continent et enfin de poursuivre mon travail photographique sur l’agriculture (communautaireau Chiapas, de montagnedans les Alpes-de-Haute-Provence)

En abordant le thème du logement de ces forçats du légume, je désire communiquer à travers l’image l’interminable attente et l’enfermement de ces hommes dans une société qui les refoule.

 

Toutes les prises de vue ont été réalisées dans la province andalouse d’Almeria lors de trois séjours entre mai 2006 et septembre 2007. Le dossier complet comprend une centaine d’images qui me permettent d’aborder d’autres angles de la problématique lié à l’agriculture dans cette région comme le tourisme, l’écologie, les transports, les coopératives de tri, et les parcs naturels.